Ruth Ellis, une jeune femme qui se maquille pour ressembler à Marilyn Monroe, n'a connu que des malheurs dans sa vie personnelle et, rêveuse, accorde une grande confiance aux hommes à qui elle vend ses charmes pour qu'ils la sortent du caniveau. Mais c'est de David Blakely, ce séduisant coureur automobile, dont elle est amoureuse, et dont elle attend un enfant : là, c'est sûr, son bonheur est fait. Mais David ne veut pas entendre parler de cet enfant, et Ruth, après les coups de trop, se venge. Condamnée à mort, elle sera exécutée par Albert Pierrepoint, dernier bourreau à avoir du exécuter une femme au Royaume-Uni.
J'ai lu pour la première fois un ouvrage de Didier Decoin grâce au magnifique Est-Ce Ainsi Que Les Femmes meurent ?, qui relatait déjà une histoire tirée d'un fait réel : la jeune Kitty Genovese mourait après une agression alors que plusieurs voisins étaient témoins de son agonie.
Déjà, le style extrêmement touchant de Decoin avait fait mouche.
Pour cette deuxième lecture, j'avais acheté à sa sortie (en mai, voyez à quel point je tarde) La Pendue de Londres, évoquant une histoire vraie romancée par les bons soins de Decoin. Cette histoire avait fait l'objet d'une émission sur RTL, "L'Heure du crime", animée par l'inimitable et légendaire Jacques Pradel, au cours de laquelle Didier Decoin, invité, avait raconté et détaillé les détails de l'affaire Ruth Ellis. Je n'avais pu résister, et à peine acheté, le livre était lu.
Au cours de ce roman, deux destins se croisent : d'une part, Ruth Ellis et son cortège de malheurs, de l'autre, le modeste Albert Pierrepoint, bourreau excessivement précautionneux. Ces passages sont particulièrement émouvants : Pierrepoint a le scrupule de ne pas faire souffrir plus que de raison les condamnés qui lui sont soumis, et exécutera (au sens propre comme au figuré) les tâches qui lui incombent avec toute l'application possible. Il est touchant de constater qu'il cachera longtemps à son épouse cette activité, en plus de son métier "officiel".
Ruth Ellis quant à elle semble cumuler sur ses épaules toute la misère du monde : née dans un milieu plus que modeste, elle grandit sous le joug d'un père incestueux, dont les abus sont couverts par une mère aveugle au malaise de Ruth. Trop facilement amoureuse, elle restera malgré sa force de caractère une victime permanente des hommes, qu'elle attire, qu'elle fascine mais dont elle révèle les pulsions de violence. Mais un jour, c'en est trop... Et Didier Decoin présente pudiquement la prise de conscience de Ruth : "Or ce n'est pas parce qu'elle a passé le plus clair de son temps à endosser à peu près tous les rôles de victime au répertoire féminin que Ruth Ellis a jamais eu la moindre attirance pour la souffrance."
Les deux destins se croiseront dès lors que la condamnation de Ruth sera prononcée, et Pierrepoint reconnaît la difficulté extrême de la tâche : comment donner la mort à cette jeune femme, gracile et au regard si doux, sans être atteint personnellement ? Détail, non pas amusant, mais qui révèle les mystères des destinées humaines : Pierrepoint et Ruth Ellis se croiseront un soir dans un bar, bien loin de s'imaginer que l'un devra un jour accompagner l'autre jusqu'à la mort... "C'est ainsi que la jeune fille qui ressemble un peu à Marilyn Monroe et le bourreau qui ressemble un peu à Stan Laurel se rencontrent un soir de brume par le plus grand des hasards, et presque aussitôt s'écartent l'un de l'autre sans pressentir le moins du monde que la vie, et la mort, vont bientôt les réunir à nouveau."
Nul doute que Didier Decoin n'a pas son pareil pour évoquer la singularité des destins féminins, et que je lirai avec plaisir, même si les sujets sont difficiles, d'autres de ses titres.