Partant du constat réalisé lors d'une pause dans une station d'autoroute, selon lequel une carte Michelin est plus belle à regarder que le paysage qu'elle représente, Jed Martin acquiert une notoriété remarquable en photographiant des cartes Michelin qu'il expose avant de les vendre à prix d'or. Il vit une histoire d'amour avec Olga, cadre chez Michelin qui le quittera ensuite pour partir travailler en Russie. Jed renoue quelques années plus tard avec le devant de la scène avec une série de tableaux représentant des métiers simples et fait la rencontre de l'écrivain Michel Houellebecq qui vit retiré du monde dans une autarcie un peu sauvage. Jed aidera d'ailleurs plus tard la police à élucider le meurtre de ce dernier avant d'à son tour se retirer du monde et vieillir dans sa propriété creusoise.
Alors que le sujet du livre n'a rien de compliqué en soi, je m'interroge quant à la teneur du résumé que je viens de vous proposer : fallait-il que je vous parle de l'enfance de Jed, de sa relation avec son père, de ses conquêtes féminines, de sa technique d'utilisation du matériel photographique, ou d'autres traits de son existence donnés à voir dans ce livre ? Difficile de circonscrire l'action de La Carte et le territoire tant on a finalement l'impression que tous ces faits se valent, sans que l'un prenne le pas sur l'autre.
L'existence de Jed est vide : vide d'action(s), vide de relations humaines (peut-on encore même utiliser ce terme de "relations" lorsqu'on constate les silences entre son père et lui, l'anéantissement de tout attachement avec Olga dès que celle-ci s'éloigne), vide de sens parfois, souvent.
Pourtant, on ne s'ennuie pas : Houellebecq parle, détaille, disserte à plaisir sans que l'on compte les pages et j'ai beaucoup aimé l'apparente légereté de l'existence de Jed, qui prend bien conscience parfois de la tristesse de l'ensemble de sa vie. Les observations de Jed relèvent souvent d'un sentiment profond de fatalité teinté d'ironie (page 28 : "Les clochards allaient rester plusieurs jours, l'odeur de leurs défections emplirait la cour, empêchant d'ouvrir. Avec les locataires ils se montraient polis, voire obséquieux, mais les rixes entre eux étaient féroces, et généralement ça se terminait ainsi, des hurlements d'agonie s'élevaient dans la nuit, quelqu'un appelait le SAMU et on retrouvait un type baignant dans son sang, une oreille à moitié arrachée."), personnifié par la figure du père (page 24 : "L'excitation de son père était retombée, il mâchonnait son saint-nectaire avec aussi peu d'enthousiasme que le cochon de lait. C'est sans doute par compassion qu'on suppose chez les personnes âgées une gourmandise particulièrement vive, parce qu'on souhaite se persuader qu'il leur reste au moins ça, alors que dans la plupart des cas les jouissances gustatives s'éteignent irrémédiablement, comme tout le reste. Demeurent les troubles digestifs, et le cancer de la prostate.").
Finalement, seul son activité d'artiste passionne Jed, et encore, par périodes. Il faut lui accorder que le métier de photographe n'est pas souvent transcendant : "prendre une photographie de VTT, ou de tartiflette au reblochon, rapportait beaucoup moins qu'une photographie équivalente de Kate Moss, ou même de George Clooney ; mais la demande était constante, soutenue, et pouvait assurer un revenu correct" (page 44). Sa célébrité grandissante lui fait porter un regard plein de pitié sur le monde pseudo-merveilleux des pseudo-people, mais c'est bien la vie que mène l'ermite Houellebecq qui le tente le plus.
Houellebecq vu par Houellebecq, exercice difficile ? Exercice réussi, selon moi, mais rien de bien original sous le soleil, à l'image d'ailleurs du roman qui, s'il m'a plu, ne me laissera pas un souvenir impérissable...
Merci à Priceminister pour ce livre.