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8 novembre 2010 1 08 /11 /novembre /2010 23:15

Washington, un 11 novembre. L'inspecteur Miller se rend sur les lieux d'un crime, un petit pavillon de banlieue dans lequel un livreur de pizza a découvert le corps d'une femme, abandonné sur le bord du lit. L'affaire semble correspondre au mode opératoire d'un tueur qui opère dans le voisinage depuis quelque temps, surnommé le Tueur au ruban. Mais Miller s'aperçoit rapidement que la victime n'est pas la femme modèle que l'on pourrait imaginer : discrète, elle vivait en réalité sous une fausse identité. Pourquoi ? En se penchant d'un peu plus près sur le passé trouble mais bien caché, Miller met le doigt dans un engrenage qu'il est loin de soupçonner et qui va le mener jusque dans les hautes sphères du pouvoir nord-américain.

 

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M'étant régalée en début d'année avec le très beau, très sensible et poétique  Seul Le Silence, je n'ai pas hésité à recevoir Les Anonymes, m'attendant à un nouvel ouvrage du même acabit. Je ne pouvais pas plus me tromper !

Les Anonymes ne ressemble en rien à l'ouvrage précédent. La première scène, au cours de laquelle Catherine Sheridan, puisque c'est ainsi que se nomme la victime, détecte chez elle la présence de son agresseur et se prépare sereinement à la mort qui lui est réservée, est terrible : on oscille entre admiration pour Catherine et frayeur monumentale à l'idée qu'elle résiste à la terreur que devrait inspirer une situation de ce type.

 

Ensuite, la rencontre avec l'inspecteur Miller nous rend dès le prime abord l'homme sympathique : parfois bourru, toujours pudique, traînant derrière lui une sombre histoire qui ne nous sera révélée que par bribes, il n'est pas sans rappeler Adamsberg, le héros de Vargas (rencontré dans  L'Homme aux cercles bleus). Il est chouchouté par un vieux couple touchant et sage, qui l'aide à ne pas sombrer dans une misanthropie irréversible.

 

Malgré ces deux points qui pouvaient laisser présager que le livre allait me plaire, mon intérêt a commencé à flancher dès l'instant où un second narrateur prend la parole pour raconter des pans entiers des rapports économiques entre Amériques du Nord et du Sud et dont on comprendra qu'ils ont un rôle fondamental dans la résolution de l'affaire. On est embarqué dans un récit complexe, touffu, peu clair pour la lectrice que je suis, peu versée dans ce genre d'intrigue politico-financière. C'est bien dommage, car c'est une majeure partie du livre qui m'a rebutée et qui, un instant, m'aurait bien poussée à abandonner ma lecture.

 

Mon naturel curieux étant quand même déterminé à connaître l'identité du fameux tueur, j'ai concentré mon attention sur la résolution de l'enquête : là encore, j'ai été très déçue. Les morts qui émaillent le chemin de Miller sont autant de rebondissements palpitants, mais j'ai eu l'étrange impression que le coupable s'était lui-même jeté en travers du chemin de Miller pour l'aider à le trouver, ce qui n'est généralement pas la conduite des assassins ! Ainsi, le dévoilement final ne m'a-t-il pas davantage convaincue.

 

Il s'agit ainsi pour moi d'une déconvenue inattendue : je reste toutefois sur l'excellente impression que j'avais eue de Seul Le Silence, dont j'aurais tant voulu retrouver l'atmosphère ici.

 

Cet article a été rédigé (tardivement, ce dont j'ai honte !) dans le cadre des Chroniques de la rentrée littéraire en partenariat avec Ulike ! Merci à eux !

D'autres bloggeuses ont aussi lu ce nouvel Ellory : Karine, Madame Charlotte, Miss Alfie, Virginie, Petite Fleur ...


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1 novembre 2010 1 01 /11 /novembre /2010 20:17

Dans le Dakota du Nord, pendant les années soixante, Evelina Harp prend la parole pour raconter son enfance : l'école, son attirance pour l'institutrice, ses premiers émois amoureux, les jeux avec son frère Joseph sont autant de sujets qu'elle explore sans volonté d'exhausivité mais avec beaucoup de poésie. Les récits de son grand-père indien Seraph Milk, surnommé Mooshum, qu'elle rapporte également, la transportent dans un temps où la ville était à peine créée et où les rapports humains, tant dans l'amour que dans la haine, étaient plus entiers.

Le juge Coutts, Marn Wolde, Cordelia Lochren prendront aussi la parole pour évoquer leurs souvenirs sur cette même époque et sur leur propre vie. Vivant dans une petite communauté, entre nouvelle ville et réserve indienne, chacun croisera, aimera, connaîtra les mêmes personnes : l'histoire polyphonique qui nous est contée est d'autant plus riche que les témoignages se diversifient.

 

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J'avais déjà eu le plaisir de lire du Louise Erdrich avec La Chorale des maîtres bouchers : je crois que ce nouvel ouvrage m'a encore davantage plu, ce qui n'est pas peu dire. Ayant pour fil conducteur le lynchage injustifié d'Indiens qu'on avait pris pour les assassins d'une famille entière de paysans, le livre s'attache à rétablir doucement la vérité sur ce crime à travers les récits des différents locuteurs. Ces témoignages se complètent et mettent en lumière, rétrospectivement, le pourquoi du comment de l'agissement de certains personnages : c'est un récit complexe mais limpide, porté par un style décidément splendide de la part de Louise Erdrich, tout autant capable de nous parler d'amour que d'évoquer des actions graves et lourdes de conséquences.

 

Le passage où les villageois vont effrayer les milliers de colombes est très beau, tout autant que le titre que l'on comprend mieux en apprenant que les colombes trouvent toujours refuge dans l'arbre dans lequel ont succombé les Indiens punis par la vindicte des hommes du village. La musique du violon du vieux Shamengwa, frère de Mooshum, nous accompagne à travers le temps, nous plonge dans une atmosphère emplie de non-dits pour mieux s'envoler aussi vers des souvenirs plus légers pour les conteurs de cette histoire, comme le déguisement de Mooshum pour Halloween ou l'erreur du père Cassidy lors de l'enterrement de Shamengwa. 

 

Evelina, qui sera la principale actrice et conteuse de l'histoire, grandit au fil du livre : seules ses hésitations personnelles m'ont moins intéressée, alors que c'est le personnage le plus fouillé de l'ensemble de l'ouvrage. Mais on s'attache aussi à Mooshum, Clemence, Corwin... On quitte ce livre à regret une fois qu'il est terminé, en ayant l'impression d'avoir été témoin d'une longue tranche de vie locale, à la fois belle et tragique, sombre et éclatante.

 

Merci à l'équipe du Blog-O-Book et aux éditions Albin Michel pour ce partenariat ! La Malédiction des colombes a aussi enthousiasmé Kathel, Keisha, Aifelle, Choco, Fashion et d'autres !

 

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26 octobre 2010 2 26 /10 /octobre /2010 10:43

En -42, alors que César est mort depuis deux ans déjà, Antoine se veut comme son digne successeur et se prépare à lancer une opération militaire de grande envergure contre les Parthes. Mais sa rencontre avec Cléopâtre le retardera puisqu'il prendra goût à la "vie inimitable" que celle-ci lui proposait. Octave et Antoine doivent ensuite s'allier ; Octave gèrera l'Occident et Antoine l'Orient. La campagne contre les Parthes est un désastre militaire et Antoine rentre vaincu, malgré sa conduite héroïque, en -36.

 

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Ces quelques années mouvementées passées par Antoine en Orient sont l'objet de ce tome des aventures d'Alcibiade Didascaux, ce professeur de lettres classiques qui voyage dans le temps accompagné de la petite souris Musculus. Loin d'être une BD ordinaire, on apprend beaucoup grâce à ces deux personnages qui se retrouvent toujours embarqués dans des aventures auxquelles ils n'ont pas toujours voulu participer...

 

Ainsi, on fait la connaissance de personnages historiques et de leurs rejetons très ressemblants...


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Alcibiade est un témoin discret mais toujours vigilant, comme vous le voyez. Parfois, il prend le relais et raconte des détails difficilement représentables mais nécessaires.

 

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La petite souris en profite souvent pour nous apprendre quelques locutions latines, et l'on apprend quelques mots nouveaux au fil des pages, sans s'en rendre compte.

 

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En tout cas, on rit beaucoup : on s'amuse du dessin des personnages (je trouve les personnages de femmes encore plus drôles que les hommes) et des libertés prises par le scénariste...

 

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Les faits historiques marquants sont parfois simplifiés, mais immédiatement moins rébarbatifs et plus faciles à mémoriser !

 

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Mais l'ensemble s'accompagne de biographies concises et précises sur l'ensemble des personnages historiques rencontrés (en l'occurence Marc Antoine, Agrippa, Lépide et bien d'autres), d'arbres généalogiques et surtout d'une chronologie très détaillée sur la période s'étalant de la fin de la République à la fondation de l'Empire : autant d'outils précieux tant pour se rafraîchir la mémoire que découvrir une période qui nous est inconnue ! Alcibiade Didascaux a d'ailleurs voyagé chez les Gaulois, les Romains ou pendant les invasions barbares... et il fera prochainement un tour au Moyen Âge ! Vous avez l'embarras du choix...



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14 octobre 2010 4 14 /10 /octobre /2010 01:00

La semaine dernière en ces lieux, mais déjà il y a des siècles, Catulle nous chantait son désespoir et demandait aux dieux de le débarrasser des restes douloureux d'une longue relation amoureuse qui vient de se terminer.

 

Avant d'en arriver là, il a évidemment coulé des jours heureux avec la noble et séduisante Clodia, mais la belle se révèlera bien volage... Catulle la célebrait sous le nom de Lesbie ; voici un très joli poème dans lequel il l'invite à profiter du temps présent (on pensera au "carpe diem" d'Horace !) et à l'embrasser encore et encore...

 

Vivamus, mea Lesbia, atque amemus,

rumoresque senum severiorum

omnes unius aestimemus assis.

Soles occidere et redire possunt ; 

nobis cum semel occidit brevis lux,

nox est perpetua una dormienda.

Da mi basia mille, deinde centum,

dein mille altera, dein secunda centum,

deinde usque altera mille, deinde centum.

Dein, cum milia multa fecerimus,

conturbabimus illa, ne sciamus,

aut ne quis malus invidere possit,

cum tantum sciat esse basiorum.

 

En version française, ça donne : Vivons, ma Lesbie, et aimons-nous ; toutes les rumeurs des vieillards trop sévères, jugeons qu'elles ne valent pas plus qu'un sou. Le soleil peut mourir et renaître ; pour nous, une fois que la brève lumière meurt, il reste une seule nuit éternelle à dormir. Donne-moi mille baisers, puis cent, puis mille autres, puis une deuxième fois cent, puis jusqu'à mille autres, puis cent. Ensuite, lorsque nous en aurons fait plusieurs milliers, nous en perdrons le compte afin de ne plus savoir et qu'un méchant ne puisse nous jeter un sort quand il saura combien de baisers il y a eu.

 


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Une idée de Chiffonnette !

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11 octobre 2010 1 11 /10 /octobre /2010 18:19

Partant du constat réalisé lors d'une pause dans une station d'autoroute, selon lequel une carte Michelin est plus belle à regarder que le paysage qu'elle représente, Jed Martin acquiert une notoriété remarquable en photographiant des cartes Michelin qu'il expose avant de les vendre à prix d'or. Il vit une histoire d'amour avec Olga, cadre chez Michelin qui le quittera ensuite pour partir travailler en Russie. Jed renoue quelques années plus tard avec le devant de la scène avec une série de tableaux représentant des métiers simples et fait la rencontre de l'écrivain Michel Houellebecq qui vit retiré du monde dans une autarcie un peu sauvage. Jed aidera d'ailleurs plus tard la police à élucider le meurtre de ce dernier avant d'à son tour se retirer du monde et vieillir dans sa propriété creusoise.

 

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Alors que le sujet du livre n'a rien de compliqué en soi, je m'interroge quant à la teneur du résumé que je viens de vous proposer : fallait-il que je vous parle de l'enfance de Jed, de sa relation avec son père, de ses conquêtes féminines, de sa technique d'utilisation du matériel photographique, ou d'autres traits de son existence donnés à voir dans ce livre ? Difficile de circonscrire l'action de La Carte et le territoire tant on a finalement l'impression que tous ces faits se valent, sans que l'un prenne le pas sur l'autre.


L'existence de Jed est vide : vide d'action(s), vide de relations humaines (peut-on encore même utiliser ce terme de "relations" lorsqu'on constate les silences entre son père et lui, l'anéantissement de tout attachement avec Olga dès que celle-ci s'éloigne), vide de sens parfois, souvent.

Pourtant, on ne s'ennuie pas : Houellebecq parle, détaille, disserte à plaisir sans que l'on compte les pages et j'ai beaucoup aimé l'apparente légereté de l'existence de Jed, qui prend bien conscience parfois de la tristesse de l'ensemble de sa vie. Les observations de Jed relèvent souvent d'un sentiment profond de fatalité teinté d'ironie (page 28 : "Les clochards allaient rester plusieurs jours, l'odeur de leurs défections emplirait la cour, empêchant d'ouvrir. Avec les locataires ils se montraient polis, voire obséquieux, mais les rixes entre eux étaient féroces, et généralement ça se terminait ainsi, des hurlements d'agonie s'élevaient dans la nuit, quelqu'un appelait le SAMU et on retrouvait un type baignant dans son sang, une oreille à moitié arrachée."), personnifié par la figure du père (page 24 : "L'excitation de son père était retombée, il mâchonnait son saint-nectaire avec aussi peu d'enthousiasme que le cochon de lait. C'est sans doute par compassion qu'on suppose chez les personnes âgées une gourmandise particulièrement vive, parce qu'on souhaite se persuader qu'il leur reste au moins ça, alors que dans la plupart des cas les jouissances gustatives s'éteignent irrémédiablement, comme tout le reste. Demeurent les troubles digestifs, et le cancer de la prostate.").

 

Finalement, seul son activité d'artiste passionne Jed, et encore, par périodes. Il faut lui accorder que le métier de photographe n'est pas souvent transcendant : "prendre une photographie de VTT, ou de tartiflette au reblochon, rapportait beaucoup moins qu'une photographie équivalente de Kate Moss, ou même de George Clooney ; mais la demande était constante, soutenue, et pouvait assurer un revenu correct" (page 44). Sa célébrité grandissante lui fait porter un regard plein de pitié sur le monde pseudo-merveilleux des pseudo-people, mais c'est bien la vie que mène l'ermite Houellebecq qui le tente le plus.

 

Houellebecq vu par Houellebecq, exercice difficile ? Exercice réussi, selon moi, mais rien de bien original sous le soleil, à l'image d'ailleurs du roman qui, s'il m'a plu, ne me laissera pas un souvenir impérissable...

 

Merci à Priceminister pour ce livre.

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5 octobre 2010 2 05 /10 /octobre /2010 22:06

 "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?" , vers d'Aragon, a inspiré à l'auteur le titre évocateur de son roman.

 

C'es t l'hiver. Il a neigé ; le froid est mordant ; c'est la nuit. Kitty Genovese rentre chez elle après une soirée passée à travailler dans le bar dont elle est manager. Elle gare sa petite voiture et cherche un bref instant ses clés dans son sac. Alors qu'elle n'a que quelques mêtres à parcourir pour être au chaud chez elle, elle repère un homme derrière elle, immobile dans la nuit. Cette présence lui paraissant suspecte, Kitty se met à courir. Elle doit seulement tourner au coin du bâtiment pour entrer sous le porche et être en sécurité. Mais l'homme court lui aussi. Cet homme, c'est Winston Moseley. Il assène à Kitty deux coups de couteau avant d'être effrayé par un voisin alerté par les cris de la jeune femme et de s'enfuir.

Le voisin en question, depuis l'immeuble d'en face, voit Moseley s'enfuir et Kitty se relever, et retourne donc dans son lit. Par les autres fenêtres qui se sont éclairées, aucune autre aide ne se fait entendre. Mais Kitty avance difficilement et s'écroule dans le hall de son immeuble. Winston Moseley revient sur ses pas et la frappe de nombreux coups de couteau supplémentaires, puis la viole avant de prendre la fuite. Dans l'immeuble, plusieurs habitants ont tout entendu mais n'interviennent pas. Une femme, seule, laissant son bébé sans surveillance, se jettera à l'aide de Kitty dès qu'elle sera mise au courant par un coup de fil d'un voisin de palier. Il est trop tard pour faire quoi que ce soit, et elle ne peut plus que bercer Kitty qui agonise pendant que les secours arrivent, immédiatement après avoir été prévenus, mais seulement trente minutes depuis le début de l'agression fatale à Kitty.

 

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Est-Ce Ainsi Que Les Femmes meurent ? est un roman que j'attends depuis le premier avis lu à son sujet sur la blogosphère. Je me le suis procuré dès sa sortie en poche et je l'ai lu très rapidement, bouleversée par la tragédie vécue par Kitty Genovese.

 

Didier Decoin nous présente ce fait divers avec talent : il fait preuve d'une grande retenue dans la description des faits, qui nous touchent en nous donnant l'impression de les voir se dérouler sous nos yeux au ralenti. Ainsi, le récit de la mort d'Anna Mae, une des premières victimes de Moseley, est racontée avec beaucoup de pudeur.

 

"Elle fit ce que Moseley exigeait, elle lui tendit tous les dollars qu'elle avait dans son sac. Elle était très calme, elle ne mit aucune agressivité dans son geste, aucune impatience dans son regard, elle était juste impatiente d'en finir.

Alors il tira sur elle.

Elle reçut deux balles dans l'estomac.

Celui ne lui fit pas très mal, enfin beaucoup moins que ce qu'elle aurait imaginé si on lui avait annoncé le matin même qu'elle finirait sa journée, et sans doute aussi son existence, avec deux balles dans le corps.

Le choc l'envoya valdinguer en arrière, avec une telle force qu'elle eut l'impression de décoller du sol, et elle retomba assise dans la neige."

 

Débarrassée de toute sordidité, l'agression de Kitty ne choque pas seulement par la sauvagerie de Moseley, mais également par l'absence quasi totale d'aide offerte à la jeune femme mourante alors même que de nombreux témoins l'ont vue ou entendue subir les coups terribles de son agresseur. Didier Decoin nous met ainsi face à des voisins de prime abord tout à fait aimables (page 33 : "Les gens ont toujours été particulièrement solidaires et serviables à Kew Gardens") mais qui restent à l'abri derrière leur porte ou leur fenêtre : "D'après le rapport des flics, ils étaient trente-huit. Trente-huit témoins, hommes et femmes, à assister pendant plus d'une heure au martyre de Kitty Genovese. Bien au chaud derrière leurs fenêtres. Certains entortillés dans une couverture, d'autres qui avaient pris le temps d'enfiler une robe de chambre. Aucun n'a tenté quoi que ce soit pour porter secours à la pauvre petite. Pas même un coup de téléphone. Non, même pas ça."

 

Alors on réfléchit. A chaque fois qu'un témoin est évoqué avec la raison qui justifie tant bien que mal sa non-intervention, on est mis face à nos propres réactions : qu'aurait-on fait dans cette situation ? Dans ce qui sera appelé par la suite le cas du témoin, on comprend que plus des témoins potentiels seraient susceptibles d'intervenir, plus ils se reposent sur ce que feront les autres.

Sans condamner les témoins inactifs, Didier Decoin pose la question de la responsabilité de chacun dans le meurtre de Kitty Genovese. Le coupable est-il celui qui frappe ou celui qui laisse faire ?

 

Mais le sentiment prédominant reste évidemment l'empathie profonde pour la pauvre Kitty, victime d'une mort injuste et si facilement évitable, dans le fond. L'auteur en dresse le portrait d'une jeune fille simple, joyeuse, amoureuse, vive puis prise au piège d'un prédateur. Voilà un des passages la décrivant que j'ai beaucoup aimé : "Il lui arrivait de porter une robe de percale blanche qui lui descendait assez bas sous les genoux, presque aux chevilles en fait, et dont le bustier découvrait ses épaules. Elle avait dû l'acheter à l'occasion d'un mariage, c'était une robe à la fois sérieuse et juvénile, délicate, sans doute coûteuse à entretenir, pas ce genre de toilette qu'on enfourne dans la machine à laver du coin de la rue, c'est pourquoi Kitty ne la portait qu'exceptionnellement, le 4 Juillet ou pour Thanksgiving, ou pour assister à une fête où il y avait des danses, elle virevoltait sur le trottoir pour nous montrer comme sa robe s'évasait bien, une grande corolle blanche, elle nous faisait penser à Natalie Wood dans West Side Story, même si, dans le film, la robe blanche bien empesée et qui tournoie, c'est plutôt celle de Rita Moreno."

 

Kitty Genovese a vécu, réellement. Elle est morte en 1964 à New York, tué par Winston Moseley, toujours incarcéré à cette date. On trouve d'elle quelques photos, notamment celle qui a peut-être inspiré la description précédente.

 

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Vous aurez compris que le livre m'a bouleversée. L'histoire de Kitty Genovese hante les esprits et j'y repense beaucoup. Le livre a trouvé une place définitive dans ma bibliothèque, tout comme dans celle des bloggeuses qui l'ont lu avant moi.

 


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23 septembre 2010 4 23 /09 /septembre /2010 18:51

Ah, Ovide et sa poésie érotique... Rappelez-vous, je vous avais déjà parlé de L'Art d'aimer, l'an dernier, et des bons conseils qu'Ovide y donnait en matière de séduction !

 

Dans le poème ci-dessous (les vingt premiers vers de la neuvième élégie du premier livre des Amours), Ovide compare la fonction de soldat à celle d'amant, dans le but de prouver qu'être amoureux n'est pas de tout repos !

 

Militat omnis amans, et habet sua castra Cupido.

Attice, crede mihi, militat omnis amans.

Quae bello est habilis, Veneri quoque convenit aetas.

Turpe senex miles, turpe senilis amor.

Quos petiere duces annos in milite forti,

hos petit bella puella viro.

Pervigilant ambo ; terra requiescit uterque -

ille fores dominae servat, at ille ducis.

Militis officium longa est via ; mitte puellam,

strenuus exempto fine sequetur amans.

Ibit in adversos montes duplicataque nimbo

flumina, congestas exteret ille nives,

nec freta pressurus tumidos cauabitur euros

aptaque verrendis sidera quaeret aquis.

Quis nisi vel miles vel amans et frigora noctis

et denso mixtas perferet imbre nives ?

Mittitur infestos alter speculator in hostes ;

in rivale oculos alter, ut hoste, tenet.

Ille graves urbes, hic durae limen amicae

obsidet ; hic portas frangit, at ille fores.

 

Voici une traduction, trouvée sur le précieux site Remacle.org : Tout amant est soldat, et l'Amour a son camp ; oui, Atticus, crois-moi, tout amant est soldat ; l'âge qui convient à la guerre est aussi celui qui convient à Vénus. Honte au vieux soldat ! honte au vieil amant ! le nombre d'années qu'exige un chef dans un brave soldat est celui qu'une jeune beauté demande à l'heureux possesseur de sa couche ; ils veillent l'un et l’autre ; tous deux ils ont souvent pour lit la terre ; l’un garde la porte de sa maîtresse, l'autre celle de son général ; le soldat doit parcourir de longues routes, l'intrépide amant suivra jusqu'au bout du monde sa maîtresse, obligée de partir : il franchira les montagnes escarpées, les torrents grossis par les orages, et traversera sans crainte les neiges amoncelées ; prêt à voguer sur les mers, il ne redoutera point les vents déchaînés, il n'attendra pas le temps propice à la navigation. Quel autre qu'un soldat ou qu'un amant bravera la fraîcheur des nuits et la neige mêlée à des torrents de pluie ? L'un est envoyé comme éclaireur au-devant de l'ennemi ; l'autre a les yeux fixés sur son rival comme sur un ennemi ; celui-ci assiège des villes menaçantes, l’autre le seuil de son inflexible maîtresse ; tous deux enfoncent des portes d'inégale grandeur.

 

Ah, si seulement... !

 

jeudi-citation

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19 septembre 2010 7 19 /09 /septembre /2010 17:30

Un an après la mort de leur fils aîné Ben, la famille Collingwood retourne passer les vacances dans leur maison familiale, nichée au fond des bois. Mary, la fille cadette du couple, en profite pour passer la soirée avec son amie d'enfance, Paige. Toutes deux sympathisent avec Justin, un ado paumé qui leur offre de partager son herbe. Mais Justin est le fils d'un meurtrier en cavale nommé Krug : aidé de son frère Francis, Krug prend les demoiselles en otage. Battues, humiliées, violée même pour Mary, les deux jeunes filles sont laissées pour mortes dans la forêt. Dans leur périple, les meurtriers trouvent refuge chez les parents de Mary, qui décident de tout mettre en oeuvre pour venger leur fille.

 

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Difficile de trouver un adjectif adéquat pour qualifier La Dernière Maison sur la gauche : à la fois drame, thriller, film d'horreur, il mèle toutes les qualités de ces trois genres sans accumuler leurs défauts. L'histoire est pourtant un peu longue à se mettre en place : l'arrivée de la famille dans la maison, les papotages de Mary et Paige, la fumette avec Justin... Mais tous ces développements mettent finalement encore plus en valeur la rapidité du revirement de situation que vont connaître les deux jeunes filles lors de l'arrivée de Krug et de ses acolytes.

 

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Qui est le héros, dans l'histoire ? Si l'on est tenté de croire que ce sera Mary, la dernière partie du film dément cette impression. Les parents ? C'est l'inverse. Pour le coup, il me semble qu'il s'agit de Justin, ce gamin quasiment muet, complètement traumatisé par un père qui n'a de ce rôle que le nom : Justin saura, plusieurs fois, agir selon sa conscience et non selon le désir perverti de son père.


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On retrouve parmi les acteurs Riki Lindhome (à droite ci-dessus), déjà repérée dans la très bonne série écourtée Pushing Daisies. Le jeune Justin est incarné par Spencer Treat Clark, le petit Lucius Verus de Gladiator. A noter, la virilité débordante de Garret Dillahunt, Krug.

 

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Reprenons. Le film fait habilement monter l'angoisse chez le spectateur, qui ne peut que se trouver en empathie totale avec le couple Collingwood, déterminé à protéger leur unique enfant Mary. L'affiche du film nous le demande déjà : jusqu'où serions-nous prêts à aller pour venger la souffrance d'une personne aimée ? On tremble pour ces parents du début à la fin, qui doivent affronter des psychopathes sans aucun sentiment pour leur prochain. A ce propos, la scène du viol de la jeune Mary est éprouvante au possible : le malaise du spectateur est constant pendant toute sa durée. 

 

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L'ensemble constitue donc un film angoissant, au scénario intéressant et interrogateur : voilà qui devrait ravir les amateurs du genre. La photographie est splendide mais laisse toutefois place à des scènes d'une violence psychologique et physique rare. Dur dur. Malgré une scène finale en décalage avec l'ambiance du reste, on en ressort... changé.

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16 septembre 2010 4 16 /09 /septembre /2010 18:34

Je vais profiter d'une initiative lancée par Chiffonette, si je ne m'abuse, pour partager avec vous des phrases qui, pour une raison ou pour une autre, me parlent, me plaisent, me séduisent, me laissent pensive.

 

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Aujourd'hui, du latin. C'est une langue que je pratique depuis près de treize ans (déjà) et que j'ai le plaisir d'enseigner depuis l'an dernier.

 

Il s'agit ici d'un passage tiré de l'Enéide, de Virgile : Enée, qui a quitté Troie après le sac de la ville par les Achéens, descend aux Enfers aidé de la Sibylle de Cumes pour y retrouver son père Anchise. Il y croisera d'ailleurs aussi la reine Didon, qui s'est suicidée après qu'il l'a abandonnée : celle-ci refusera de lui parler...


"Ibant obscuri sola sub nocte per umbram

perque domos Ditis vacuas et inania regna"

 

Ils allaient, obscurs, dans la nuit solitaire, à travers l'ombre et les demeures vides et le vain royaume de Pluton.


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12 septembre 2010 7 12 /09 /septembre /2010 12:04

Enfermé depuis presque trois ans à la prison de Green River pour un viol qu'il n'a pas commis, Klein apprend par la bouche du directeur qu'il sera libéré le lendemain. C'était sans compter sur le coup de folie du directeur, frustré de n'avoir su mener à bien sa mission de réhabilition des milliers d'hommes sous sa garde et qui est bien décidé à les laisser se massacrer en mettant la prison à feu et à sang. Après avoir poussé les hommes à bout et les avoir humiliés dans un discours méprisant, le directeur se retire dans son bureau et observe... Les clans se révoltent : Blancs, Noirs, Latinos se livrent une guerre sans merci dans laquelle Klein se retrouve pris entre deux feux. Médecin bénévole de l'infirmerie, il s'indigne à l'idée que les mutins aillent assassiner dans leurs lits les malades du Sida : à ses risques et périls, s'associant à un prisonnier schizophrène et un gardien un peu secoué, Klein tente de se rendre à l'infirmerie, dans laquelle se trouve en plus coincée le Dr Juliette Devlin, une psychiatre qui se découvre des affinités avec Klein et qui se trouve être la seule femme de toute la prison au milieu de centaines d'hommes en furie. 

 

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Voici un livre qui patientait depuis six mois dans ma PAL après avoir été acheté à Lyon lors du salon Quais du Polar 2010 : dédicacé par son auteur, l'échevelé Tim Willocks, il s'est avéré bien meilleur que ce que j'aurais pu imaginer...

 

Tim Willocks nous plonge dans un milieu carcéral bien plus cru et impitoyable que ce que l'on peut s'imaginer : sévices corporels, humiliations, rapports sexuels forcés, règlements de compte sont monnaie courante entre des prisonniers de deux rangs, dominés et dominants. On assiste impuissants à ces jeux cruels, jouissifs pour les dominants, inévitables pour les dominés résignés. Klein, de par son activité à l'infirmerie, s'est fait respecter et évite de son mieux les prisonniers les plus dangereux. Adepte des arts martiaux, il développe une stricte philosophie de vie et se force à se préserver avant les autres, contrairement à ce que la pratique de la médecine devrait lui commander.

Mais son attirance grandissante pour Devlin le conduit à prendre parfois des risques inconsidérés, et il va devoir laisser s'ouvrir la carapace qu'il s'était construite. Drôle de personnage que ce Dr Devlin, symbole absolu de la féminité, qui transcende son rôle de femme par la multitude de ceux qu'elle doit jouer pour les détenus : collègue, amante, mère, fantasme inaccessible, elle assume toutes ces facettes avec brio dans un contexte excessivement dur et stressant, tant et si bien que les hommes finissent par la trouver aussi dure qu'eux. Le plus beau compliment qu'elle recevra se révèlera être "sacré fils de pute".

 

L'écriture de Willocks, ni complaisante ni racoleuse, trouve le ton juste pour décrire un monde étrange, où les lois n'ont plus cours, où la violence nécessaire est le seul mode de survie adopté par des hommes privés de tout espoir. Willocks décrit aussi bien cette violence que les scènes de passion charnelle : tous les personnages (prisonniers, gardiens, innocents et coupables) semblent vivre dans la même fureur, dans l'instantanéité la plus pure qui leur permet d'échapper à des projections dans l'avenir, parfois bien illusoires.

 

Une lecture marquante que celle de Green River, donc, par petites touches, sans pouvoir absorber tout ce déchaînement de passions d'une traite. Un vrai coup de coeur pour moi, violent et marquant ; une claque monumentale. James Ellroy dit de ce thriller qu'il est "étourdissant. Peut-être le plus grand roman jamais écrit sur la prison".

 

Pimprenelle elle aussi a apprécié sa lecture !

En prime (sans mon prénom), la dédicace de l'auteur, parachevée par la devise latine de la prison, Virescit vulnere virtus (Le courage est renforcé par la blessure) :

 

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