Ayant presque toutes pour toile de fond la Nouvelle-Orléans, les nouvelles de Poppy Z. Brite nous font cotôyer des frères siamois, des zombies, des nécrophiles... et puis des gens presque "normaux", dont la vie bascule peu à peu dans la folie la plus sombre.
Maintenant que je lis avec de plus en plus de goût de la SF et de la fantasy, voilà que je plonge dans le grand bain avec Poppy Z. Brite. Miss Spooky Muffin m'avait incitée à le faire avec son challenge consacré à l'auteur, dont j'avais déjà entendu le plus grand bien. Pas folle, la guêpe : j'ai choisi la version Missing Mile du challenge, qui ne m'engageait à lire qu'un livre. Dans le grand bain, donc, mais en me tenant au bord.
Le recueil s'ouvre sur une présentation de l'auteur par un des grands noms du genre, si ce n'est peut-être le plus grand (les amateurs éclairés de SF sauront me corriger) : Dan Simmons. Même les incultes comme moi savent reconnaître les maîtres ! Simmons ne tarit pas d'éloges à propos de Brite, qui l'avait subjugué par la lecture de sa nouvelle "Calcutta, seigneur des nerfs".
Prenons les nouvelles une par une, si vous le voulez bien :
"Anges"
Deux amis en vadrouille, Steve et Ghost, trouvent refuge le temps d'une panne de voiture chez une famille très croyante dont deux des fils sont siamois. Sauvages, les frères vivent en marge du reste de la famille depuis qu'ils ont subi l'opération visant à les séparer. Ghost décide de soulager leurs souffrances.
Cette nouvelle m'a laissée sur ma faim en ouverture du recueil. Elle porte en elle un étrange sentiment d'inachevé, comme si les siamois m'avaient communiqué leur mal-être. Ca commence mal.
"Conte géorgien"
Quatre jeunes garçons vivent en colocation et jouent de la musique dans les bars. Après le suicide de l'un d'entre eux, les garçons se séparent. Une foire aux monstres fera se croiser une ultime fois deux d'entre eux.
Là, on commence véritablement à comprendre la puissance évocatrice du style de l'auteur. La marginalité des garçons est décrite à travers la beauté de leurs actes, même les plus terribles. La fin, en revanche, m'a là encore ennuyée, ne m'attendant pas à cela.
"Sa bouche aura le goût de la fée verte"
Deux jeunes hommes vivent et usent à deux le maximum de plaisirs que peut leur offrir la vie. Bien vite, pour frissonner encore plus fort et goûter les jouissances les plus ultimes, ils se tournent vers des plaisirs en marge de la raison : la nécrophilie et l'aménagement d'une alcôve pleine de cadavres pour s'y livrer aux plaisirs charnels de toute sorte. Ils rencontrent bientôt un jeune homme qui reconnaît le bijou autour du cou de l'un d'eux, trouvé sur un cadavre.
Je crois que c'est cette nouvelle qui m'a accrochée pour de bon à ma lecture. D'une beauté morbide, le récit que fait l'auteur des goûts terribles de ses personnages réussit, malgré l'horreur, à plaire. Le raffinement s'allie aux perversités les plus fines, et la fin est totalement en accord avec l'évolution du personnage du narrateur.
"Musique en option pour voix et piano"
Agressé sexuellement alors qu'il n'était encore qu'un petit garçon, un jeune homme découvre que sa voix a depuis acquis le pouvoir d'agir sur les foules. Devenu chanteur, il craint à chaque prestation de causer de nouvelles morts et décide d'arrêter de chanter.
Cette nouvelle, assez courte, propose un récit intercalant plusieurs temporalités, original et poignant.
"Xénophobie"
Deux jeunes hommes, cherchant à se faire de l'argent facilement pour financer leur cuite du soir, accepte de veiller un cadavre. Ils décident de soulever la jupe de la défunte...
Dans cette nouvelle, la bêtise des deux personnages agace au fur et à mesure que la peur monte. Finalement, on s'en sort bien...
"La sixième sentinelle"
Un riche spectre communique avec une jeune femme dans l'espoir qu'elle puisse le faire accéder à ses richesses passées.
Voilà une nouvelle qui m'a moins plu que les autres. Un sentiment de déjà-vu, peut-être.
"Disparu"
Ne voulant pas perdre l'ami qu'il avait tant aimé, un jeune homme décide d'embaumer le cadavre de celui-ci.
Là encore, je n'ai pas été passionnée par cette nouvelle : l'atmosphère pesante de la Nouvelle-Orléans y est-elle pour quelque chose ?
"Traces de pas dans l'eau"
Dru, à force d'entraînements, réussit à faire bouger les choses autour de lui. Il décide d'utiliser ses pouvoirs pour ramener à la vie son frère jumeau Ninive, décédé trois ans auparavant.
Une impression en demi-teinte, ici : le style est très pur, très beau, mais la fin erssemble trop à mon goût à celle de "Sa bouche...".
"Prise de tête à New-York"
Nous retrouvons Steve et Ghost, en balade à New York. Un badaud essaie de leur vendre des crânes humains conservés dans le formol.
Là, la déception prime : j'ai trouvé cette nouvelle simpliste, bien loin de la puissance des autres nouvelles, qu'elles m'aient plu ou non.
"Calcutta, seigneur des nerfs"
Né à Calcutta d'une mère morte en couches, le narrateur raconte un périple dans cette ville livrée aux morts-vivants. Alors qu'il se rend dans le temple de la déesse Kali, il voit la statue de la déesse s'animer...
Je comprends fort bien que Dan Simmons ait été scotché à son siège pendant la lecture de cette nouvelle. Les descriptions de la ville dans toutes ses composantes, depuis l'architecture aux senteurs qu'elle exhale, sont fortes et efficaces.
"Paternité"
Un père, très proche de son petit bébé depuis l'épisode de baby-blues qu'a vécu sa femme, fait tout pour protéger son fils du monde extérieur. Pourtant, un accident domestique cause la mort de l'enfant.
Je crois que cette nouvelle est celle que j'ai trouvée la plus dure. N'évoquant aucun élément merveilleux, on y croit bien plus puissamment qu'aux autres. L'amour, puis la cruauté, la souffrance et la douleur sont perceptibles dans chacune des phrases. On se prend un véritable coup de poing dans la poitrine.
"Cendres du souvenir, poussière du désir"
Leah est enceinte, mais ne sait pas si l'enfant à venir est celui de son petit ami ou de son amant. Accompagnée par son ami officiel pour aller avorter, elle se dispute avec ce dernier. Tous deux se séparent, se cherchent, se perdent dans un quartier obscur, avant que celui-ci ne la retrouve, trop tard.
Dans cette nouvelle, la deuxième partie m'a davantage intéressée que toute la partie romance de l'affaire.
Ainsi, ce sont bien "Sa bouche aura le goût de la fée verte" et "Paternité" qui m'ont le plus convaincue, charmée, dégoûtée, fascinée. L'horreur des histoires contées par l'auteur est sublimée par une écriture à la fois poétique et juste, jamais ampoulée. La musique, que l'on retrouve dans nombre de nouvelles, s'ajoute en arrière-plan à notre lecture. Il y a fort à parier pour que je regoûte aux écrits de Poppy Z. Brite sous peu.
Merci à Miss Spooky Muffin pour ce challenge qui m'a réservée une lecture inhabituelle et féroce.
Challenge réussi !