Pensant détenir un filon prometteur avec le projet de site Internet qu'il a en tête, Matthew Prior démissionne de son poste de journaliste pour se lancer dans les... conseils boursiers poétiques ! Mais oui, que pourrait-on davantage avoir envie de lire en ces temps de crise que les cotations de Bourse en vers ?
Le temps de se rendre compte que son idée est en fait désastreuse, le journal qu'a quitté Matt pour de nouveaux horizons licencie à tour de bras : Matt ne retrouve son ancien poste que pour quelques mois avant de se retrouver sur le carreau. Devant faire face aux échéances de l'emprunt monstrueux contracté pour l'achat de leur maison, ainsi que l'hypothèque qui s'y ajoute, Matt refuse d'inquiéter davantage sa femme Lisa et tente de trouver une solution d'urgence pour mettre la main sur plus de trente mille dollars en moins d'une semaine... Il faut dire que Lisa a l'esprit ailleurs : Matt la soupçonne d'entretenir une liaison virtuelle avec l'un de ses ex, Chuck. Déprimé, stressé, acculé, Matt opte pour la dernière des solutions qui s'offre par hasard à lui, devenir... dealer !
Comment croire que la crise financière dans laquelle les Etats-Unis ont sombré avant qu'elle n'atteigne l'Europe aurait pu faire un bon sujet de fiction ? Mieux, qu'on en rie ?
Pourtant, ça marche, et pas qu'un peu !
Le style de Jess Walter peut surprendre, d'emblée : le rythme, soutenu, enlevé, traduit l'état de stress dans lequel Matt baigne en permanence. On a l'impression de devoir mener sa course contre la montre, avant la saisie éventuelle de sa maison qui le laisserait sans-abri, lui et sa famille. La situation de Matt n'a rien d'enviable : un père sénile à charge, deux enfants aux antipodes l'un de l'autre, une femme qui s'éloigne peu à peu et un mariage qui prend l'eau, voilà la partie émergée de l'iceberg que viennent compléter les dettes incommensurables du couple.
Que sauver ? Tout cela vaut-il la peine de se battre ? Loin de s'apitoyer sur son sort, Matt pose un regard franc sur les erreurs qu'il a commises, celle de quitter son travail étant la pire de toutes. D'ailleurs, ce regard a parfois de quoi surprendre : Matt ne se leurre pas sur la vie que mèneront ses deux garçons plus tard, et par extension tous les gamins de cette génération : il n'hésite pas à les imaginer en train de fumer quelques pétards, à leur tour... Etonnant !
Ce sujet ne vient pas au hasard dans la bouche de Matt : sorti un soir à la supérette du quartier, il croise la route de deux drogués un peu paumés, et surtout perchés dans leur bulle enfumée... Par un concours de circonstances, et aussi sûrement un peu par dépit, Matt les suit et s'embarque dans une histoire de trafic de drogue sans comprendre qu'il se lance là dans des actes totalement illégaux. Matt remarque d'ailleurs, avec son oeil de journaliste observateur, que l'ensemble des dealers et consommateurs à l'époque actuelle ont tous des looks de gendre idéal...
La Vie financière des poètes est l'occasion, par le prisme de la crise financière de la fin des années 2000, de mettre le nez dans les défauts d'une société qui a causé sa propre perte sans se rendre compte de la mauvaise pente qu'elle suivait. Mais on sourit, on rit en voyant nos propres torts se dessiner dans la vie de Matt... et on se plaira à suivre un dénouement qui ne sera que justice, avec une touche d'espoir en bonus !
Merci aux éditions 10-18 et à la librairie Dialogues pour ce roman aussi nouveau, tant dans son sujet que dans la manière de l'aborder !