Dans le Dakota du Nord, pendant les années soixante, Evelina Harp prend la parole pour raconter son enfance : l'école, son attirance pour l'institutrice, ses premiers émois amoureux, les jeux avec son frère Joseph sont autant de sujets qu'elle explore sans volonté d'exhausivité mais avec beaucoup de poésie. Les récits de son grand-père indien Seraph Milk, surnommé Mooshum, qu'elle rapporte également, la transportent dans un temps où la ville était à peine créée et où les rapports humains, tant dans l'amour que dans la haine, étaient plus entiers.
Le juge Coutts, Marn Wolde, Cordelia Lochren prendront aussi la parole pour évoquer leurs souvenirs sur cette même époque et sur leur propre vie. Vivant dans une petite communauté, entre nouvelle ville et réserve indienne, chacun croisera, aimera, connaîtra les mêmes personnes : l'histoire polyphonique qui nous est contée est d'autant plus riche que les témoignages se diversifient.
J'avais déjà eu le plaisir de lire du Louise Erdrich avec La Chorale des maîtres bouchers : je crois que ce nouvel ouvrage m'a encore davantage plu, ce qui n'est pas peu dire. Ayant pour fil conducteur le lynchage injustifié d'Indiens qu'on avait pris pour les assassins d'une famille entière de paysans, le livre s'attache à rétablir doucement la vérité sur ce crime à travers les récits des différents locuteurs. Ces témoignages se complètent et mettent en lumière, rétrospectivement, le pourquoi du comment de l'agissement de certains personnages : c'est un récit complexe mais limpide, porté par un style décidément splendide de la part de Louise Erdrich, tout autant capable de nous parler d'amour que d'évoquer des actions graves et lourdes de conséquences.
Le passage où les villageois vont effrayer les milliers de colombes est très beau, tout autant que le titre que l'on comprend mieux en apprenant que les colombes trouvent toujours refuge dans l'arbre dans lequel ont succombé les Indiens punis par la vindicte des hommes du village. La musique du violon du vieux Shamengwa, frère de Mooshum, nous accompagne à travers le temps, nous plonge dans une atmosphère emplie de non-dits pour mieux s'envoler aussi vers des souvenirs plus légers pour les conteurs de cette histoire, comme le déguisement de Mooshum pour Halloween ou l'erreur du père Cassidy lors de l'enterrement de Shamengwa.
Evelina, qui sera la principale actrice et conteuse de l'histoire, grandit au fil du livre : seules ses hésitations personnelles m'ont moins intéressée, alors que c'est le personnage le plus fouillé de l'ensemble de l'ouvrage. Mais on s'attache aussi à Mooshum, Clemence, Corwin... On quitte ce livre à regret une fois qu'il est terminé, en ayant l'impression d'avoir été témoin d'une longue tranche de vie locale, à la fois belle et tragique, sombre et éclatante.
Merci à l'équipe du Blog-O-Book et aux éditions Albin Michel pour ce partenariat ! La Malédiction des colombes a aussi enthousiasmé Kathel, Keisha, Aifelle, Choco, Fashion et d'autres !