Ah, mes aïeux... Lorsque j'ai lancé l'idée du Challenge Stephen King, j'étais loin de m'imaginer que j'aurais envie de tout relire et que j'enchaînerais les lectures réussies. Mais je n'imaginais pas non plus que d'autres fans, amateurs ou curieux deviendraient aussi acharnés et m'accompagneraient dans ma lancée ! Aujourd'hui, au programme d'une lecture commune, Dolores Claiborne.
"Bon, vas-y, dis-nous plutôt de quoi ça parle !"
Dolores Claiborne s'est rendue d'elle-même au commissariat de l'île de Little Tall, dans le Maine. Décidée à faire taire les rumeurs qui l'accusent d'avoir causer de sa patronne, Vera Donovan, Dolores va parler pendant des heures et dénouer tous les fils de l'histoire...
Si elle refuse d'être considérée comme coupable de ce meurtre, c'est que Dolores sait réellement ce que c'est qu'être un assassin : elle raconte comment, mariée et mère de famille, elle a du tuer son mari, qui risquait l'avenir de leurs trois enfants et était un prédateur permanent pour leur fille, avant de raconter comment Mrs Donovan l'a soutenue, elle qui passait pourtant sur l'île pour être une femme au coeur de pierre.
Je crois que relire les textes de King qui m'ont fait frémir pendant mon adolescence et constater que l'effet produit est resté identique me convainc décidément du talent du maître de la terreur. Dans la forme, voilà une idée originale : Dolores, qui raconte l'histoire de sa vie, est le seul et unique personnage en scène dans tout le roman, et la présence de ses auditeurs n'est donnée à voir que lorsqu'elle s'adresse directement à eux, sans que leurs paroles ne nous soient jamais retranscrites autrement que par la réponse de Dolores. Malgré la présence de cet unique point de vue, et devrais-je dire "grâce à", jamais d'ennui ni de temps mort. La force de l'action racontée, qui n'est pourtant que souvenir, fait renaître pour nous les cauchemars vécus par Dolores. Je saluai il y a quelques semaines la prouesse identique de Stewart O'Nan dans Speed Queen : il a décidément rendu avec son livre un hommage réussi à Stephen King.
Dolores n'a pourtant rien d'une conteuse : mariée très jeune, enceinte de bonne heure, elle ne vivra avec son époux Joe Saint-George que des heures difficiles. Celui-ci est alcoolique et a la main leste sur elle. Si Dolores travaille, lui accumule les petits boulots. La famille entière, qui vit à l'écart du village, nous donne l'impression d'une pauvre équipe, conduite par un père déplorable. Mais Dolores est une femme de valeurs : elle est fière de ses enfants, qui travaillent bien, elle-même ne rechigne devant aucune tâche difficile et fait des économies de bouts de chandelle pour permettre un jour à ses enfants de faire des études et de connaître une vie meilleure.
Tout bascule lorsque Dolores, ayant remarqué que sa fille se laissait aller et semblait s'éteindre, apprend de la bouche de cette dernière que son père tente d'abuser d'elle et qu'il la force à des actes malsains. Le récit s'emballe, et Dolores nous montre comment sa patronne, Vera, la guide vers ce qui sera son ultime recours : tuer Joe Saint-George pour qu'il ne puisse plus faire de mal aux enfants. Là, on appréhende avec Dolorès l'instant T, on tremble une fois l'acte commis : l'empathie est totale, et je peux vous assurer que j'ai tendu l'oreille au moindre bruit de la maison en lisant ce livre le soir, quasiment plongée dans l'obscurité...
On comprend alors le drame de Vera, ou plutôt on le soupçonne : la vérité complète, révélée dans les toutes dernières pages, est plus terrible encore. Dolores et elle, toutes deux veuves de bonne heure, ont vécu ensemble pendant plus de vingt ans, que Dolores évoque avec force détails sur le caractère de cette femme de tête, qui finira par perdre tout bon sens et sombrer dans la folie... Leur relation, complexe et dure, nous dérange parfois, notamment au début du livre : certains détails, qui paraissent d'abord sordides, se justifient à la fin... Il ne faut d'ailleurs pas se focaliser sur le langage de Dolores : parfois cru, émaillé de fautes que j'attribuais d'abord à la traduction ("si il", négation incomplète), il est finalement la moteur de tout ce livre à la mécanique parfaitement huilée.
S'il fallait ainsi que je conseille un livre de Stephen King aux participants indécis au challenge ou à un novice attiré par l'auteur, voilà celui que je conseillerai : Stephen King frappe fort avec un livre, parfois effrayant, toujours prenant et si profond lorsqu'on en comprend l'enjeu dans les dernières pages...
Cerise sur le gâteau, j'ai retrouvé dans ce livre l'évocation d'une autre héroïne de l'auteur : les visions de Dolores à propos d'une petite fille évoquent celle qui deviendra Jessie, dans le livre éponyme... Une lecture de plus à prévoir.
Antoni, Cacahuète et Mystix ont eu aussi lu Dolores Claiborne !